Vague de suicides chez les vétérinaires : tout comprendre du mal qui ronge la profession

Vague de suicides chez les vétérinaires : tout comprendre du mal qui ronge la profession
20 Sept. 2022

Les vétérinaires ne vont pas bien et cela ne semble alerter personne. Dans ce métier, les suicides sont trois à quatre fois plus élevés que dans la population générale. C'est la conclusion surprenante d'une étude menée pour le Conseil national de l’ordre des vétérinaires

C'est une réalité connue dans le métier, mais ignorée par tout le monde. Les vétérinaires sont au plus mal et se suicident fréquemment : trois à quatre fois plus que la population générale et deux fois plus que les professionnels de la santé humaine. Ce constat choquant a été fait par une étude pour le compte de l'association Vétos-Entraide et du Conseil national de l’ordre des vétérinaires (CNOV). Animée par Didier Truchot, professeur de psychologie sociale à l'Université de Bourgogne-Franche-Comté, la manifestation a réuni 3 244 praticiens (près de 18 % des vétérinaires). 

Les études ont identifié un taux d'épuisement émotionnel, un état d'épuisement physique et émotionnel chronique plus élevé chez les vétérinaires que chez les éleveurs, dont l'inconfort a été documenté à de multiples reprises, a expliqué l'universitaire à l'AFP.

Le chercheur s'est dit surpris par les chiffres, car ils contrastaient avec l'image positive de la profession par les enfants et les amoureux des animaux.

 

 

"Nous avons tous des collègues suicidaires"

 

Au sein du métier, "ça n'étonne personne", estime Corinne Bisbarre, vétérinaire à Gradignan (Gironde) et membre du CNOV. "Dans nos promotions, dans notre entourage professionnel immédiat, nous avons tous des collègues qui se sont suicidés", souffle-t-elle. "Huit vétérinaires que je connais se sont suicidés", dont "trois camarades de classe". Ces pièces individuelles sont rarement mentionnées en dehors de l'industrie, mais ont une forte présence au sein de l'industrie, a-t-elle noté : "C'est un très petit environnement, comme une famille".

Didier Truchot précise que la raison de la prévalence de ce comportement est notamment "le fait qu'il y ait de la drogue dans le tiroir". Les vétérinaires euthanasient les êtres vivants et disposent donc des compétences et du matériel pour mettre fin à leurs jours.

"C'est comme un paysan qui tient un fusil de chasse ou une corde dans une grange", a-t-il noté, notant d'autres similitudes entre les deux milieux : "Ce sont des métiers historiquement masculins, on ne demandera pas de l'aide pour nos malaises."

 

 

Un métier qui souffre des animaux et de leurs propriétaires

 

De même, la charge émotionnelle est sous-estimée lorsque les vétérinaires sont exposés à la souffrance des animaux et des propriétaires. Autre facteur cité par les vétérinaires : la pratique de l'euthanasie, qui peut varier considérablement (des chiens de famille souffrant sans espoir de guérison, aux troupeaux d'animaux pour des raisons de santé). "Je ne sais pas quel vétérinaire n'est pas important pour qui", explique David Quint, vice-président de la Fédération nationale des vétérinaires indépendants qui exerce à Kerez. 

"Il y a quelques années, j'ai été forcé d’effectuer l’euthanasie d’un troupeau de vaches empoisonnées par le feu. L'éleveur à côté de moi pleurait de douleur", se souvient David Quint. "Ce sont des situations que vous n'oublierez jamais." "Quand la grippe aviaire frappe, vous tuez tous les animaux qui vous tiennent à cœur, et cela a un impact psychologique", explique Hélène Esquial, vétérinaire à Landers, spécialisé dans les volailles. "J'ai euthanasié 2 500 poules par moi-même. Il faut être fort pendant ce genre de moment."

 

 

Vague de demandes de démission

 

D'autres facteurs de stress jouent un rôle dans le burn-out et les pensées suicidaires chez les vétérinaires : surcharge de travail, dépendance au travail, confrontation avec la maltraitance des propriétaires d'animaux, peur de l'erreur, énumère Didier Truchot. Les vétérinaires sont aussi touchés par l'image de "pompe à fric", regrette David Quint. Il a noté qu'ils étaient critiqués pour leur prix parce que les clients "ne connaissent pas le véritable coût de la chirurgie ou des IRM". 

Tous ces facteurs contribuent à un énorme décalage entre les attentes et la réalité professionnelle, les aspirants vétérinaires étant mal préparés, jugent tous les vétérinaires interrogés par l'AFP. "Il faut tout savoir, tout faire et utiliser le moins de moyens possible", conclut William Addey, vétérinaire à Buchy (Seine-sur-Mer) et membre de la société Veto-Entraides, créée pour faire face à l'inconfort vétérinaire. 

Face à ces difficultés, de plus en plus de personnes quittent l'industrie. Selon la carte de population 2022 du CNOV, 341 vétérinaires de moins de 40 ans ont quitté le registre vétérinaire en 2021.